Le WISC-V en psychologie clinique
- Les échelles de Wechsler : un outil au service de la clinique
Les psychologues qui utilisent le WISC s'intéressent à l'enfant qu'ils rencontrent, s'attachent à ses difficultés et à leurs causes, et utilisent le bilan psychologique pour voir comment on peut aider au mieux cet enfant-là, dans sa singularité. Les chercheurs qui « refondent » ces échelles au cours des éditions successives, s'intéressent aux processus intellectuels et à leur genèse, laquelle se produit par définition pendant l'enfance des êtres humains. Leur objet n'est pas le même que celui du psychologue clinicien, et même si tout le monde aujourd'hui se réclame du maître-mot « clinique », on observe néanmoins un clivage massif entre les cliniciens, c'est à dire les psychologues praticiens, et les chercheurs en psychologie cognitive.
Même jeunes, les parcours et
expériences des enfants et adolescents que nous rencontrons lors des
bilans psychologiques, tracent des voies singulières qui ne se
superposent pas exactement avec celles de leurs pairs : leur
destinée reste à écrire. Est-ce pour autant que les psychologues
ne doivent pas se servir d'outils d’analyse et de comparaison ?
Nous ne le pensons pas, car la taxinomie, la capacité à
catégoriser est un outil puissant au service de l'humain et de sa
compréhension du monde. Ainsi, pour les psychologues, il paraît
indispensable qu'existe des sémiologies, des nosographies, des
classifications, des modèles théoriques qui permettent,
certes la simplification du réel, mais aussi son appréhension.
Quelle que soit la valeur des données
numériques issues du WISC, tous ces
résultats ne prennent sens que grâce à l'interprétation du
clinicien. Ces chiffres n'ont pas de valeur en soi :
c'est le psychologue qui peut prendre en compte l'état émotionnel
de l'enfant, sa motivation ou son apathie, ou encore la qualité de
la relation qui s'est nouée entre eux au cours du bilan. Il faut
encore insister sur le principe de Wechsler : le psychologue
doit toujours privilégier les données issues de la clinique par
rapport aux résultats numériques des tests.
Le plus souvent, la complexité
des processus en jeu dans le cours de la passation des tests concourt
à délivrer une foule considérable d'informations.
L’administration du WISC offre ainsi, sur une très courte période,
un ensemble d'observations qui exigeraient beaucoup de temps et de
patience pour être recueillies en situation ordinaire. Mais le
bilan ne peut être mené par le clinicien comme le ferait une
machine : tous les éléments, absolument tous les éléments
présents dans la relation d 'examen doivent être retenus.
L'intelligence est une partie de la personnalité et ne peut en être
séparée.
Les différences entre les scores
obtenus à chaque subtest ne prennent sens qu'à partir des autres
données cliniques : les auteurs insistent sur l'anamnèse,
les motifs de l'examen, les autres observations. Une différence
entre les scores n'a pas de sens en soi : elle peut pour un
enfant avoir une signification clinique, qu'elle n'aura pas pour un
autre enfant. L'accent est mis sur l'approche qualitative.
Les tests ne sont ni bons ni mauvais en
a priori. Certains sont administrés pour une mauvaise cause. C'est
une bonne cause quand ils sont utilisés à des fins d'analyse, pour
mieux cerner la manière dont une personne en difficulté peut
éventuellement être aidée à sortir des impasses où elle se
trouve : les
échelles de Wechsler doivent être utilisées avec intelligence (
Kaufman 1979 )
Dans certains domaines, les
psychologues restent incontournables avec leurs tests. Il est
important qu'ils soient conscients des enjeux sociaux des tests
qu'ils emploient. Il ne suffira pas, pour nous, de communiquer des
chiffres pour croire que tout a été dit : « Il faut
apprêter ces chiffres, c'est à dire ici, les présenter de manière
à ce que les réalités identifiées au cours de la passation
du test pénètrent l'esprit de ceux qui vont décider de
l'orientation de l'enfant dans une grande mesure. » (
Bernard Jumel )
L'administration d'un WISC constitue
une étape dans la mise en place d'un bilan psychologique complet qui
s'avère toujours indispensable afin de dresser un tableau, le plus
spécifique possible, rendant compte du fonctionnement
cognitif et psychique au sens large des sujets singuliers en prise
avec des situations qui ne le son pas moins. La dynamique affective
du patient contribue à ses performances de manière sensible. Les
psychologues connaissent bien les influences réciproques de
l'intelligence et de l'affectivité sur le développement de
l'enfant. Il ne peut y avoir d'évaluation cognitive dite pure.
Déjà en 1944, Wechsler pointait ce
qu'il nommait les facteurs non-intellectifs qui intervenaient
positivement dans l'évaluation de l'intelligence, à savoir la
persévérance, le goût de la réussite, l'esprit de compétition,
la confiance en soi, en ses capacités de raisonnement,
etc. Avec le WISC-V, la dynamique entre affectif et cognitif
apparaît plus particulièrement présente dans les épreuves
verbales, avec des items qui peuvent renvoyer à des sentiments,
des souvenirs, à des moments familiaux ou scolaires.
Wechsler, jeune psychologue des armées
pendant la Première Guerre mondiale, mais surtout psychopathologue
et clinicien, renouera avec une approche clinique pour son échelle.
Il abandonne la passation collective qu'il utilisait à l'époque
pour le recrutement des militaires, pour une passation individuelle
qui permet de faire valoir l'approche singulière de chaque personne.
David Wechsler se rattache à la
tradition de Binet par sa conception de l'intelligence abordée
comme une entité impossible à définir et dont il se refuse de
faire un concept opératoire. Les préoccupations de Binet
rencontrent, à l'époque, celles du ministère de l'Instruction
publique concernant l'inadaptation scolaire. Les lois Jules Ferry, en
1881 et 1882, qui instituent l'école laïque, gratuite et
obligatoire pour tous les enfants, ont fait apparaître le problème
des écoliers réfractaires, qu'ils soient indisciplinés, instables
ou « arriérés ».
Dans la lignée de Binet, David
Wechsler, dont les épreuves restent les plus utilisées dans le
monde entier, était avant tout psychopathologue et clinicien. Le
succès persistant et la pérennité exceptionnelle de ses épreuves
est sans doute dû à leurs grandes qualités cliniques : elles
constituent une médiation privilégiée, qui
aide le psychologue à se mettre à l’écoute
de l'enfant. Les modes de réaction de l'enfant, ses
préoccupations, ses intérêts ou ses blocages viennent se dire dans
la relation médiatisée par le test. Binet et Wechsler construisent
leurs tests en s'appuyant essentiellement sur une démarche clinique,
et sur les données issues de la relation clinique.
Un fait psychologique, quel qu'il soit,
est le produit d'une relation. Le
psychologue, qui est aussi un être humain en situation, rencontre
une autre personne. Et c'est cette relation qui est
créatrice : si les tests, entre autres, ont donné naissance à
la psychologie clinique, ils proviennent initialement de la
psychologie différentielle. C'est leur utilisation par le
psychologue, comme média de la relation, qui favorise l'expression
du sujet et facilite sa propre écoute, qui en fait un instrument
clinique, utile pour sa pratique. Le sujet de la clinique est donc
une personne singulière, dans une situation particulière.
Par la primauté qu'il accorde aux
données cliniques sur les résultats obtenus aux tests, Wechsler ne
se fait aucune illusion, contrairement à nombre de ses confrères,
sur la possibilité de dégager l'intelligence des autres aspects de
la personnalité, de l'affectivité, des émotions, etc. Il est
convaincu qu'il a affaire à des personnes singulières qui ne
peuvent être abordées que d'une façon globale. Wechsler a une
conscience aiguë des limites des tests, et de l’extrême
relativité des résultats obtenus : c’est ce qui fait sa
grande force.
La démarche de Wechsler se situe à
l'opposé d'une démarche scientiste. Il est d'abord éminemment
un psychopathologue et un clinicien : il construit d'emblée son
échelle comme un instrument clinique. Il défendra toute sa vie
une référence à la clinique. Les tests ont un intérêt
clinique grâce à tout ce qui échappe à cette expérimentation
scientiste et réductrice.
Georges Cognet, professeur à l'école
des Psychologues Praticiens, explique que l'attrait qu'exercent
les tests sur les praticiens tient paradoxalement de la faiblesse de
leur construction : « C'est de cette faiblesse
même de la construction que les épreuves classiques tirent tout
leur intérêt pour le psychologue clinicien. La disproportion entre
l'objectif – évaluer la globalité de l'efficience intellectuelle
– et les moyens triviaux employés- une dizaine de subtest pas très
spécifiques- crée une sorte de « jeu », ce terme est
entendu au sens des espaces interstitiels, résultant d'un défaut
d'ajustement, qui permettent à tout mécanisme, à toute structure
de fonctionner. » ( 2001 in « Les test :
éthique, validité, avenir » - Journal des psychologues )
L'intérêt des subtests du WISC n'est
pas tant de reconnaître ce qu'un individu peut faire, que de
comprendre « comment » il peut le faire. Comme le disent
Ajuriagerra et Tissot : « En clinique, il est presque
toujours plus important de saisir la structure d'un raisonnement ou
d'une conduite que d'en mesurer les résultats. » ( 1966 )
Pour Wechsler, la vérité est avant tout clinique. Quand il y a un
conflit entre les données cliniques et celles issues des tests, il
tranche toujours en faveur de l'expérience clinique, et
celle-ci est très souvent utilisé comme preuve.
Le clinicien s'appuie sur
une recherche des lignes de lecture du protocole WISC-V, qui utilise
les contrastes d'abord, puis les différences ensuite, pour en fin de
compte approcher la complexité d'un développement mental singulier.
Le clinicien doit utiliser tout ce qui est possible de psychologie du
développement et de psychopathologie de l'enfant pour chaque
observation singulière. Il s'agit de rechercher une compréhension
fine de la personnalité, qui permette de mettre en évidence la
spécificité de chacun.
La lecture des résultats d'un test
requiert un expert, le psychologue, et non un technicien : «
Au total, l'examen psychologique est un processus éminemment
dynamique, bien différent en son essence et plus ambitieux qu'une
démarche de technicien des tests. La cohérence du processus, qui
justifie son ambition, peut être sans ambiguïté rapportée à une
double détermination du clinicien : comprendre
la singularité d'une personne, en postulant la cohérence de ses
conduites et comportements. »
( Bernard Jumel )
- Le WISC-V : apports de la psychologie cognitive et développementale
Jusqu'au début du XXème siècle, la mesure de l'intelligence se cantonne à celle des processus élémentaires, tels les temps de réaction, les sensations. Il faut attendre Alfred Binet et son besoin de repérer, en France, les enfants en difficulté d'apprendre pour que des situations de tests permettent d'aborder l'évaluation des processus mentaux supérieurs. Wechsler, très influencé par Binet, s'inscrit tout à fait dans cette conception globale de l'intelligence.
Binet et Wechsler ont, chacun à son
époque, développé une théorie de l'intelligence de part et
d'autre de l'Atlantique. Mais ils n'ont jamais considéré que l'on
pouvait caractériser l'intelligence de façon à la réduire en un
objet précis, objectivable et mesurable. Ils se sont donc attachés
à en évaluer les manifestations, sous différentes formes. Binet
a bien eu l'intuition de l'impact de l'environnement et de
l'éducation sur les résultats aux tests.
Wechsler conçoit l'intelligence comme
résultant de l'organisation d'un ensemble d'aptitudes et non comme
une aptitude particulière : « l'intelligence est
la capacité complexe ou globale d'un individu d'agir en fonction
d'un but, de penser rationnellement et d'avoir des rapports efficaces
avec son environnement » ( 1944 ) Wechsler n'a jamais
changé les principes de son test, car pour lui l'intelligence est un
concept abstrait, et non une réalité matérielle : il n'est
donc pas possible de la mesurer. On ne peut que tenter de rendre
compte de ses effets. « Nous
connaissons l'intelligence par ce qu'elle nous permet de faire »
( Wechsler, 1944 ). Les subtests ne sont jamais des mesures pures
d'une fonction ou d 'une capacité.
L'intelligence est pour Wechsler le
fruit d'une infinité théorique d'aptitudes différentes. Comme nous
ne pouvons en évaluer qu'un tout petit nombre, il y a donc un choix
à opérer, toujours discutable. C'est ainsi que Wechsler met en
garde les psychologues contre les risques d'erreurs, quand on se base
trop aveuglément sur les seuls résultats des tests.
Si Wechsler peut proposer un tout
nouveau mode de construction d'un test, fondé cliniquement et
statistiquement, c'est justement parce qu'il est impossible de
mesurer l'intelligence, et qu'il faut donc en évaluer ses effets.
Ceci explique la très grande prudence de Wechsler qui insistera
toujours sur la relativité des résultats obtenus avec les test :
« Le grand avantage de l'emploi des QI comme base de
classification mentale, c'est qu'il ne nous permet pas de perdre de
vue que toutes les mesures de l'intelligence sont essentiellement
relatives. »
les professeurs Michel Huteau et
Jacques Lautrey s'inscrivent bien dans cette lignée quand ils
concluent : « Ces tests évaluent surtout la forme
d'intelligence qui est nécessaire pour réussir à l'école et, plus
généralement, pour apprendre dans le cadre d'un enseignement
explicite. Il s'agit de l'intelligence que l'on appelle
« académique » ou « géométrique ». Il ne
faut pas sous-estimer l'importance de cette forme d'intelligence, ni
la relative généralité de son usage dans notre société. Elle
joue en effet un rôle primordial dans les sociétés complexes où
l'acculturation passe en bonne partie par une transmission scolaire
des savoirs. Mais elle n'épuise pas, loin de là, la diversité des
ressources cognitives humaines. » ( 1997 in « Les
tests d'intelligence » )
Si l'on réfléchit avec Lautrey ( 1998
) sur les raisons de longévité des grandes batteries de mesure de
l'efficience intellectuelle, on constate qu'elle tient d'abord au
fait que le pragmatisme de la démarche des premiers grands
concepteurs de tests les a amenés à intégrer au sein de leurs
batteries « des dimensions relativement générales de
l'activité cognitive ».
L'approche par les fonctions
cognitives fait ainsi parti de cette simplification nécessaire du
réel, processus que certains auteurs comme le neurophysiologiste
Alain Berthoz nomment simplixité, pour justement, par la
contraction de simplicité et complexité, bien indiquer ce mouvement
qui, à la fois, ne méconnaît pas le complexe, mais le simplifie
pour mieux l'appréhender. En d'autres termes, la simplixité
est une forme de complexité devenue déchiffrable.
Le WISC-V est la cinquième édition
française de l’Échelle d'intelligence de Wechsler pour enfants,
publiée en 2016 aux éditions Pearsons. Il s'agit d'un instrument
clinique d'administration individuelle qui évalue l'intelligence des
sujets âgés de 6 ans à 16 ans et 11 mois. Le WISC-V constitue une
version plus aboutie que ses prédécesseurs, en intégrant avec
beaucoup de justesse des améliorations par rapport au WISC-IV.
C'est la première fois, avec le
WISC-V, que la structure même de l'échelle est pensée de manière
assumée en fonction du modèle de référence : CHC ( modèle
des aptitudes cognitives développé par
Catell-Horn-Caroll ). Cette théorie est apparue depuis quelques
années une référence obligée dans les tests. Elle prend deux
sources : l'une, ancienne, qui dérive de la conception Gf-Gc :
« Intelligence fluide – Intelligence cristallisée » de
Cattell, développée Horn et d'autres auteurs, et l'autre, plus
récente, constitué par la somme produite par Caroll en 1993. Sur
l'essentiel, la seconde source confirme la première, ce qui aurait
justifié l'accolement des trois noms.
Incidemment, la théorie CHC a
abouti à reprendre en les distinguant deux Indices au lieu d'un
seul : « Raisonnement fluide » et « Visuospatial »
dans le WISC-V remplace l'indice « Organisation perceptive »
du WISC-IV. Trois épreuves nouvelles dans l'univers du WISC
apparaissent avec la dernière édition. Il s'agit des tests de
Balances ( dans l'Indice « Raisonnement Fluide » ),
Puzzles Visuels ( dans l'Indice « Visuospatial »
), et Mémoire des Images ( dans l'Indice « Mémoire de
Travail » ). Ces changements s'inscrivent dans le projet de
croiser deux épreuves pour un même Indice. L'Indice « Mémoire
de Travail » combine une épreuve auditivoverbale avec une
autre visuomotrice : « Mémoire des images », qui
est un subtest de mémoire immédiate sur support perceptif. Ce
subtest fait appel au calepin visuospatial tel qu'il est défini par
Baddeley et Hitch.
Le nouveau QI est calculé avec sept
des dix subtests principaux. Le poids de la mémoire de travail et de
la vitesse de traitement a été réduit, et le poids du raisonnement
fluide et du traitement visuospatial a été nettement augmenté. Ce
changement de conception du calcul du QIT en fait un sixième Indice
à part entière. L'hétérogénéité entre les différents Indices
ne remet plus en cause directement la significativité du QI Total
puisque seuls deux Indices complets, soit quatre notes standard
issues des échelles de « Compréhension Verbale » et de
« Raisonnement Fluide » participe au calcul du QI Total.
Entre l'édition du WISC-III en 1996
et du WISC-IV en 2005, Internet a fait son apparition, et depuis
2005, les outils informatiques n'ont eu de cesse de se développer.
Alors, pour être efficace dans ce nouvel environnement, les jeunes
d'aujourd'hui ont de plus en plus besoin de traiter de nombreuses
informations en parallèle, de naviguer d'une page à une autre en ne
retenant que les éléments clés, mais en les gardant suffisamment
solidement en mémoire vive pour qu'ils puissent être utilisés dans
un raisonnement plus global.
Les principales dérives restent liées à l'illusion que le QI constituerait une mesure objective de l'intelligence, comme le mètre permet de mesurer la taille ou la balance d'évaluer la masse. Comme le précise Jacques Grégoire, spécialiste francophone du WISC, le QI est un index très général, incapable de prédire une « performance particulière » ( 2019 ). Le QI n'a en soi aucun sens précis. Contrairement à certaines idées bien ancrées, avoir un QI Total hétérogène est relativement banal, et n'a pas de sens particulier en soi. En revanche, il est intéressant, en cas hétérogénéité du QI, d'essayer d'en comprendre les causes, ce qui nous éclaire sur les points forts et les points faibles de l'enfant. Des profils extrêmement différents peuvent avoir un QI Total parfaitement homogène.
L'idée selon laquelle les aptitudes
intellectuelles humaines se résumeraient pour toute la vie aux 8 ou
9 ou 10 aptitudes retenues par les théoriciens actuels de la CHC, a
été démenti par Horn ( le H de CHC ) tant qu'il a été en mesure
de le faire. Ce qui indique qu'il n'y a pas d'unanimité sur cette
question, qu'il n'y en a jamais eue, mais qu'il s'agit au mieux d'une
affirmation nécessaire à oser quelques hypothèses sur les
fonctions psychiques supérieures, dans un cadre de pensée
déterminé.
La « méthode clinique »
créée par Piaget vise à saisir ce qui se dissimule derrière
l'apparence immédiate des choses. Pour ce faire, le
psychologue construit une relation dynamique avec le sujet qu'il
veut évaluer et, par une sorte d'empathie avec sa pensée,
tente de saisir son mode de raisonnement. Ce n'est que de cette
façon qu’il peut atteindre les véritables capacités du sujet.
On est loin de l'enregistrement neutre des performances,
caractéristique des test classiques. Ici, un véritable dialogue
se crée entre le psychologue et l'enfant, dialogue qui, en
confrontant ce dernier aux questions et aux contradictions, permet de
comprendre véritablement son fonctionnement intellectuel.
La théorie piagétienne nous permet
de décrire le fonctionnement cognitif comme une organisation globale
et cohérente. Les performances à différentes épreuves ne sont,
dès lors, que des manifestations particulières de cette
organisation.
Les épreuves crées par Piaget et les
tests d'intelligence traditionnels mesurent-ils une réalité
différente ? En respectant une méthodologie rigoureuse, les
chercheurs Humphreys et Parsons ont pu mettre en évidence un
recouvrement important des caractéristiques mesurées par les
épreuves piagétienne et par les tests d'intelligence traditionnels.
Certaines épreuves du WISC-V, par
leur conception, ouvrent sur la mise en lumière d'un apprentissage
en cours d'épreuve. Le plus souvent, toujours peut-être, cette
possibilité est due à la construction même du test, au fait que
l'on y décèle des articulations soucieuses de la pensée et de ses
développements. Ces articulations sont des repères dans le
développement.
- Approche psychodynamique du WISC
Les recherches menées depuis les années 70 sont inspirées par le modèle de l'intelligence artificielle, c'est à dire qu'elles ont consisté essentiellement à étudier les différences d'efficience entre des processus élémentaires de traitement de l'information selon le modèle de l'ordinateur. Ces processus ont été étudié indépendamment les uns des autres, sans tenir compte des contenus sur lesquels ils portent, ni de la représentation que se fait la personne de la tâche. En fait, le modèle ici est celui de la machine, et non celui de l'humain. Wechsler relèvent bien lui-même que le modèle de l'ordinateur a opéré une véritable régression par rapport au mouvement qui a permis la naissance de ses échelles.
Comme
le souligne Christine Arbisio, maître de conférence à l'université
Paris 13, « Le danger aujourd'hui est celui d'une
dérive technicienne, où il serait demandé au psychologue de faire
passer des tests, en faisant l'économie de toute réflexion critique
sur son acte. Or, une discipline qui ne se donne plus les moyens de
développer une démarche critique, épistémologique et
praxéologique, se transforme en technique. A l'heure où les dangers
d'une paramédicalisation de la profession sont
visibles, il est essentiel que les psychologues mènent cette
réflexion. »
Comme le rappelle en 1994 les
psychologues Michèle Perron-Borelli et Rogers Perron, il faut que le
psychologue soumette ses instruments et ses démarches à une
contestation permanente, sinon il reviendrait à la technicité
étroite dont il cherche à s'évader. Ils proposent, pour cela, de
considérer les techniques comme des sources de renseignement utiles,
mais qui ne livrent jamais des « mesures », voire des
évaluations, absolues et univoques.
François Dolto insiste beaucoup sur
les entretiens préliminaires avec les parents, pendant lesquels elle
situe le sens de la démarche, reprend l'histoire singulière de
l'enfant, mais aussi la dynamique familiale et transgénérationnelle.
Reprendre l'histoire, c'est refuser de participer à un mouvement
qui consiste à réduire à une pure question technique la
problématique concernant un être humain.
Il convient de rendre sensible aux
parents qu'on ne peut pas réduire à une pure question technique la
problématique de leur enfant, et que ses difficultés
s'inscrivent dans un mouvement et une dynamique d'ensemble :
« Un des premiers actes du psychologue, en inscrivant
l'histoire comme constitutive du sujet humain, consiste à ne pas
répondre là où on attendait, du côté d'une réponse orthopédique
qui viendrait clore la question. » ( Christine Arbisio )
Le transfert est le processus qui
médiatise la relation de soi par la relation à autrui. Le transfert
est le processus fondateur de toute relation sociale et, a fortiori,
de toute relation clinique. Le bilan psychologique s'inscrit dans
une relation transférentielle et vient produire un effet de parole.
Il s'agit pour le psychologue d'un acte de parole. Il est
fondamental que le psychologue clinicien, dans cette pratique du
bilan, s'appuie essentiellement sur l'écoute. Trop souvent, la
dimension transférentielle est évacuée, et les résultats aux
tests sont analysés en fonction des différentes grilles
interprétatives, comme si les réponses données n'avaient pas été
adressées à une personne.
Croire qu'il est possible de
réaliser une évaluation neutre, sans effet de la relation entre le
praticien et le patient, est une vue de l'esprit. Le praticien doit
toujours garder en tête que ce qu'il observe durant l'examen est, en
partie, déterminé par la relation qu'il entretien avec le sujet.
Un enfant peut, par exemple, être inattentif et instable dans son
milieu de vie alors qu'avec le clinicien, il reste calme et concentré
sur la tâche proposé.
Les travaux de Binet sur la
suggestibilité l'ont rendu très vigilant aux effets d'influence du
sujet sur l'expérimentateur : « Ne pas tenir compte
des paroles échangées, c'est s'exposer de gaieté de cœur aux
erreurs les plus graves ; car un mot, un simple mot dit par
l'expérimentateur peut changer complètement les dispositions
mentales du sujet. Les études récentes que j'ai publiées sur la
suggestibilité à l'état de veille m'ont démontré que cette
erreur agit d'une manière incessante ; la négliger, c'est
commettre une négligence équivalente à celle d'un bactériologiste
qui ferait ses recherches si délicates dans un milieu sale » (
1903 in « L'étude expérimentale de l'intelligence » )
Souvent la souffrance de l'enfant passe
inaperçue, car il n'a que ses symptômes pour l'exprimer et ne peut
en parler autrement. Dans ces cas-là, les adultes qui demandent le
bilan se posent des questions face à une énigme : quel est le
niveau de l'enfant, comment faut-il l'orienter ? En effet, les
symptômes se manifestant de plus en plus dans le cadre scolaire,
qu'il s'agisse de difficultés d'apprentissage ou de troubles du
comportement, cela produit une recrudescence de ce type de questions
pour l'ensemble des intervenants comme pour les parents.
Beaucoup plus qu'un acte
professionnel, l'examen psychologique prend peu à peu le statut d'un
acte culturel. Il s'agit de mettre en évidence comment une
relation se noue entre le psychologue et l'enfant avec une médiation
constituer par le test. A partir de ce moment, une situation
d'interlocution s'établit. Le dispositif ainsi créé va
permettre au psychologue d'écouter l'enfant différemment, de
prendre en compte une parole qui ne parvient pas à se dire de façon
plus directe, par exemple dans un entretien.
Le bilan psychologique constitue
donc une médiation privilégiée pour faire entendre autre chose de
la réalité de l'enfant. D'une part parce que les épreuves
d'efficience intellectuelle contribuent souvent, contrairement à ce
que disent des détracteurs qui ne semblent pas les connaître
réellement, à dédramatiser la situation. Parfois, rassurer un
enfant sur ses capacités peut avoir un effet extrêmement
mobilisateur, quand la situation d'échec a entraîné
soudainement un manque de confiance en lui et des réactions
dépressives, ce qui est fréquent. Toujours, le décalage entre
les capacités et les résultats scolaires permet d'ouvrir un espace
pour aborder les réelles difficultés de l'enfant, telles
qu'elles sont apparues à travers les entretiens.
Les test supposent la comparaison à
une norme. Malgré des bases et des constructions différentes, les
tests psychométriques ont tous en commun de comparer une personne à
une norme. L'être humain vit en société : en tant que tel, il
a nécessairement rapport avec une norme. Or, le « sujet »
existe précisément dans cet écart à la norme. Le psychologue
est a priori à l'écoute de tout ce qui se dit, mais son attention
est accrochée, alertée, par ce qui va être, pour chaque individu,
différent et singulier. C'est dans cet espace, là où « il
ne ressemble pas à tout le monde », que se dévoile la
singularité de chacun.
Du fait de leur construction même, les
test portent en eux les risques de l'objectivation de la personne
testée, du rabattement sur une norme. Comme nous l'avons vu, il
s'agit de véritables questions éthiques, que l'on ne peut réduire
à de simples problèmes techniques. Il s'agit effectivement d'un
choix éthique délibéré : est-ce qu'on privilégie
l'objectivation, la part expérimentale des tests, ou bien choisit-on
la parole ?
Le développement de l'objectivation,
de l'éviction du sujet dans les tests, avec la sacralisation de la
technique, ouvrent la voie à une idéologie dans laquelle la valeur
du sujet humain devient secondaire. Il
est primordial de réaffirmer la pratique d'une psychologie fondée
sur la compréhension des processus psychiques, et non celle du
contrôle, de la normalisation et de l'exclusion.
La conception de Binet d'une
intelligence multiforme et indéfinissable laisse ouvert l'espace
pour l'existence d'un sujet. Nous allons retrouver la même ouverture
chez Wechsler qui estime impossible la définition de l'intelligence.
Dans ces conceptions, l'intelligence est impossible à circonscrire,
car elle constitue à la limite l'ensemble de l'attitude d'un sujet
vis-à-vis de la réalité qui l'entoure.
Binet et Wechsler partagent de fait une
même conception de l'intelligence : il ne s'agit pas pour eux
d'un objet réel et identifiable en tant que tel, et que l'on peut
décrire selon une approche scientifique. Il s'agit d'une
construction mythique, qui concerne l'origine d'un problème
essentiel : qu'est-ce qui permet aux êtres humains d'établir
des relations utiles avec leur environnement ?
Un mythe correspond à un « discours
de vérité », car il relève d'un savoir qui tente de dire la
vérité, et répond à une impossibilité, une béance. Il s'agit
d'un discours qui fait sens, et pour reprendre l'expression de
Jean-Pierre Vernant, le mythe est une « dimension
irrécusable de l'expérience humaine ». Une construction
mythique, qui produit un récit explicatif d'une origine, permet un
certain découpage du réel, et le dégagement de causes
signifiantes. A l'inverse, dans la démarche scientifique, la vérité
se construit en même temps que l'objet scientifique se dégage, en
s'arrachant à l'explication mythique.
Pour Binet comme pour Wechsler,
l'intelligence a un statut symbolique. Il s'agit d'un point
d'origine, à partir duquel il est possible de décliner une infinité
d'aptitudes. Certaines peuvent être connues par la démarche
scientifique, en ayant recours à l'observation et à
l'expérimentation. Mais la somme de ces aptitudes ne dira jamais
la vérité de l'intelligence, car celle-ci aura toujours des
facettes irréductibles à la connaissance. Ce refus d'objectiver
l'intelligence en dernière instance revient à signifier
l'impossibilité d'objectiver le sujet humain, serait-ce dans son
fonctionnement intellectuel.
Binet et Wechsler ont en commun de
situer l'intelligence comme un point symbolique, mythique, qui permet
d'organiser des aptitudes qui en rendent compte sans jamais
l'épuiser. A partir de là, ils redonnent d'une certaine façon la
parole au sujet : ce sont les données issues de la clinique qui
prennent dans ce modèle valeur de vérité, et non un modèle
théorique extérieur. Il y a dans leur approche une certaine forme
de réhabilitation de la subjectivité : subjectivité de
celui qui passe le test, mais aussi subjectivité du psychologue, qui
doit donner plus de crédit à ses propres impressions cliniques et à
son expérience qu'aux résultats du test. Rien d 'étonnant donc
si les psychologues cliniciens aujourd'hui persistent à utiliser ces
échelles : « elles ménagent, de par leur conception,
donc structurellement, un espace pour la subjectivité de chaque
interlocuteur, donc un champ possible de rencontre et de relation. »
( Christine Arbisio )
Comme le remarque Jacques Grégoire,
« Divers règlements administratifs prescrivent de fournir
le QI du sujet examiné afin de déterminer le degré de son handicap
et les aides auxquelles il a droit […] Les praticiens
perçoivent dès lors un décalage entre ce qu'ils évaluent ( une
réalité complexe ) et ce qui leur ai demandé ( l'énoncé d'un
simple chiffre ). Ce décalage est souvent vécu avec un
sentiment de frustration et d’iniquité à l'égard des personnes
testées. »
Les chiffres permettent de préciser
des hypothèses, mais nous ne leur laissons pas le dernier mot...
puisque, précisément, ils ne parlent pas.