La dyslexie du point de vue du psychologue

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- La rencontre de l'enfant avec la lecture

Le trouble dyslexique peut être identifié au cours des apprentissages. Il est remarqué que les dyslexiques sont « plus enfant » que leurs camarades de même âge. Selon Clarisse Herrenschmidt, linguiste et anthropologue, dans une critique de l'enseignement dit « global » de la lecture qu'il faudrait étendre à tout enseignement de la lecture : l'institution scolaire met l'enfant en demeure de réaliser dans les premières semaines de son apprentissage le chemin parcouru par plusieurs grandes civilisations sur une période de 2500 ans, « cette seule considération permettrait de ne pas s'étonner du nombre des échecs. » C'est des difficultés bien comprises de l'écriture alphabétique qu'il faut partir, en connaissance des difficultés spécifiques de l'enfant dyslexique : elles ne se résument pas à des problèmes de discrimination auditive.

L'objet que doit « acquérir » l'enfant n'est pas la lecture, mais la maîtrise, attestée par la lecture, d'un système qui est l'écriture. Le changement profond qui s'opère dans les conceptions sur la dyslexie est organisé par le politique. Nous en retrouvons les premiers éléments à la fin des années 90. Les définitions incontournables de la « dyslexie » sont requises en France pour l'application du Guide barème de la Sécurité sociale ( 1993 ) qui sert notamment à la détermination du taux d'incapacité. Les dyslexiques sont ceux qui réussissent le moins bien à l'école, et fatalement, quoi qu'on en dise, le moins bien dans les tests dont la validité est depuis l'origine des tests, appréciée à l'aune des corrélations avec les résultats scolaires.

Dans leur ouvrage : Lecture et dyslexie, approche cognitive, Sprenger-Charolles et Colé contestent la définition de la Fédération mondiale de neurologie et proposent : « La manifestation la plus probante d'une dyslexie réside dans l'échec à développer des capacités de reconnaissance des mots écrits en dehors de tout contexte […]. Les dyslexiques manifesteraient des difficultés importantes à comprendre les textes écrits parce que leur reconnaissance des mots écrits est déficiente tant au niveau de la précision que de la rapidité ». Soit une définition par l'évidence : le dyslexique ne sait pas lire parce qu'il n'applique pas le principe de notre écriture alphabétique.

Comme prédicateur de l'échec ou de la réussite à venir, il conviendrait de mettre l'accent sur « la conscience phonologique », considérée comme le pré-requis à la lecture. Mais cette conception d'une relation linéaire entre conscience phonologique est démontée par de nombreux auteurs : pour Vigotsky, la conscience naît de l'activité, elle ne la précède pas : « Quand l'enfant prononce un mot quelconque, il n'a pas conscience des sons qu'il émet et n'effectue aucune opération délibérée lorsqu'il prononce chaque mot distinct. Dans le langage écrit, au contraire, il doit prendre conscience de la structure phonique du mot, décomposer celui-ci et le reconstituer en signes graphiques ». Pour Olson, « c'est la connaissance de l'alphabet qui permet de prendre conscience des phonèmes ». Pour Bruner, « le développement de l'alphabétisation pourrait bien avoir développé la conscience linguistique simplement en extériorisant, en décontextualisant, et en donnant une permanence à « ce qui a été dit », comme David Olson l'a récemment proposé ». Enfin Diatkine, dans l'approche psychanalytique des troubles d'apprentissage écrit : « L'apprentissage de la langue écrite ne présente de toutes façons un moment fécond, un remaniement dans l'évolution du langage chez l'enfant. Quelque soit l'état de ce langage, quelque soit l'état de l'organisation temporo-spatiale, des liaisons vont s'établir dans la plupart des cas entre les graphies et ce que l'enfant appréhende de l'organisation de son discours. Dans les cas heureux, les plus fréquents, l'apprentissage de la langue écrite apporte un grand perfectionnement de la langue parlée ; la prise de conscience de la structure grammaticale du discours va permettre à l'enfant d'accéder aux formulations abstraites. L'organisation temporo-spatiale s'en trouvera également consolidée […]. »

Golder et Gaonac'h contestent l'hypothèse de « devinette psycholinguistique » selon laquelle la reconnaissance « globale », visuelle du mot écrit suffirait à la lecture ( hypothèse dite de « voie directe », ou d' « adressage lexical », ou, autrement dit, que l'activité de lecture et son apprentissage seraient fondés sur la sélection d'indices pertinents, dont pour une bonne partie des indices extraits du contexte. Diverses expérimentations vérifient cette hypothèse. A contrario, les auteurs argumentent sur le rôle de l'information phonologique dans l'identification des mots écrits en soulignant que : - le recours au contexte est plus important chez les mauvais lecteurs ( ceux qui ont insuffisamment développé leur aptitude au décodage ) ; - les bons lecteurs recourent au contexte quand ils sont face à un texte mal écrit, ou mal imprimé, difficile à identifier ; - les mêmes bons lecteurs y recourent aussi quand ils doivent faire un effort de compréhension de texte difficile.

Ceci permet de conclure que le recours au contexte caractérise la lecture du pauvre ( mauvais ) lecteur. Le déficit dans le traitement phonémique apparaît ne pas interdire tout à fait l'apprentissage de la lecture, la reconnaissance « globale » appuyée sur des indices contextuels permettant aussi de lire. Mais elle entrave les activités de haut niveau dans l'analyse des textes. Ce constat cognitiviste va dans le sens d'un constat de clinicien car s'il y a déficit dans les mécanismes mentaux mis en œuvre par les dyslexiques, ils consistent pur une bonne part en aversion pour le travail mental d'analyse, de mise en pièce de ce qui est figuré. Les mots écrits sont appréhendés globalement comme des images dont il faut délimiter le contour, et restent insécables.

Concernant la définition de la dyslexie, il existe des points d'accords entre les différentes nomenclatures de références : - La dyslexie est un trouble de la lecture, ou trouble des apprentissages, ou trouble des acquisitions scolaires. - Le mot « dyslexie » ne nomme pas l'antécédent neurologique hypothétique du trouble, ce n'est pas sa cause, il nomme le trouble de la lecture lui-même. - Il est une altération de la lecture, spécifique et significative, ou une faiblesse significative dans les réalisations en lecture, reconnaissance des mots et compréhension des textes. - L'altération est spécifique, elle n'est pas due à un retard mental, ni a une déficience sensorielle, ou pas imputable exclusivement, ce qui signifie que sa cause n'est pas là. - Le trouble d'apprentissage de la lecture ou « dyslexie », en tant que trouble de la lecture, est identifié dans des activités de lecture.

En 1963, René Diatkine que le complément de la dyslexie est la dysorthographie ( et non la dysgraphie ). Ils sont deux aspect d'un même trouble parce que le codage et le décodage sont indissociables dans le processus d'acquisition de l'écrit. La dyslexie se prolonge après acquisition tardive d'une lecture fautive par la dysorthographie. Au sujet des troubles orthographiques, Françoise Estienne formule en 1982 deux remarques : - En lecture, l'importance des confusions visuelles entre graphèmes proches, confusions auditives entre sourdes et sonores, confusion des mots proches, omission ou ajouts de consonnes, inversion dans la séquence des lettres ; - en écriture, les confusions auditives, omission ou ajouts de lettres, inversion de lettres ou de syllabes.

La confusion peut porter sur ce qui est entendu, comme sur ce qui est vu, sur le phonème comme sur le graphème ; dés lors qu'ils seraient proches... Parlons donc d'une confusion par proximité, graphique et / ou phonétique. L'écrit n'est pas de l'oral amélioré , il est en rupture avec l'oral. Du point de vue de l'enfant, la rupture est marquée par le style d'engagement qu'implique l'écrit. Ce qui caractérise l'écrit, c'est qu'il procède d'une utilisation volontaire et consciente. C'est précisément en ciblant cette particularité de l'écrit que le travail de remédiation peut le mieux servir à l'enfant, sur le plan de l'écrit et conjointement sur le plan de l'oral.

Les différences propres à la dyslexie existent ailleurs que dans l'écriture. Elles ne portent pas sur les efficiences globales ( QI ), mais sur des procédures de réponses singulières marquées par trois traits majeurs : - tendance à la négation des petites différences ( la petite différence serait pour le dyslexique un détail sans importance ), seuls les contrastes sont importants ; - c'est un trait qui a une incidence péjorative sur l'aptitude à l'analyse / synthèse ; - tendance à la négation du temps comme d'une réalité utile ( organisatrice ). Ces éléments majeurs ouvrent sur des hypothèses diagnostiques singulières qui débordent largement le cadre d'un symptôme. Ils sont, chez le jeune enfant, les expressions probables de modes défensifs mentaux contre l'angoisse de perte, au sens de perte du rapport visuel direct à l'objet.

Le ratage « dyslexie » est le produit de la rencontre entre l'enfant et la lecture. Les principales singularités de notre écriture ont été inventées pour dépasser des obstacles ou difficultés rencontrés par les premiers utilisateurs dans la lecture ou l'écriture. Il ne devrait donc étonner personne que, en toute logique, les principales difficultés rencontrées par les enfants au cours d'un apprentissage soient celles la mêmes qui ont été des obstacles dans l'invention de l'outil. Les particularités dans l'expression des troubles dyslexiques retrouvent sans le savoir les principales difficultés qu'ont dû résoudre les inventeurs de l'écriture alphabétique totale grecque.


- Enjeux de l'écriture

L'écriture alphabétique note tous les sons, et l'introduction de voyelles dans le système phénicien repris par les grecs au VIII ème siècle avant Jésus Christ rompt avec les traces résiduelles du fondement idéographique de l'écriture sémitique cananéenne dont ils héritent. Il n'existe dés lors, dans ce registre alphabétique, plus de lien avec l'image puisque l'écriture est composée d'abstractions qui préservent des incertitudes de la lecture et des hasards de l'interprétation contre le jeu permanent des tyrans qui étaient de jouer avec la loi orale selon leurs besoins. Ce nouveau registre alphabétique consigne la vérité des lois, la vertu de la mémoire et d'une exigence d'exactitude dans l'énonciation.

Puis, vient le temps où l'écriture alphabétique affecte l'espace de représentation d'une troisième dimension par une homogénéisation de l'écriture ionienne avec son sens gauche-droite datée de la reprise démocratique à Athènes ( an 402 avant J.-C. ) par la Loi de la cité au nom de la démocratie. L'alphabet complet note la parole. L'introduction des voyelles joue dans le sens de l'utilisation démocratique de l'écriture, c'est à dire de l'égalité des citoyens face à la loi. Comme le distingue Jean-Pierre Vernant : « Il faut ici rappeler le rôle qu'a joué l'écriture aux origines de la cité. Mise sous le regard de tous du fait même de sa rédaction, la formule écrite sort du domaine privé pour se situer sur un autre plan : elle devient bien commun, chose publique ; elle concerne directement la collectivité dans son ensemble ; elle participe en quelque façon du politique. » L'affirmation d'un sens qui s'impose à tous dans l'écriture met fin à une longue période de maturation d'une notion de différenciation gauche-droite dans le corps, dans l'espace, et enfin dans l'espace de représentation graphique qui aura pris quatre siècles pour aboutir.

Pourquoi les enfants manquent-ils l'apprentissage de la lecture ? La rupture de l'écriture alphabétique est précisément celle-ci : ce n'est pas du dessin. Il n'y a pas de figuration, par le mot écrit, de l'objet que l'on nomme. Il est faux de dire que puisque ce qu'exige l'écriture alphabétique n'est pas ce dont dispose la plus grande partie des enfants entrant « à la grande école », il suffirait alors d'attendre... . C'est bien l'enseignement de l'alphabet qui commande l'organisation de l'espace de représentation ! À la différence du langage parlé, l'humain n'est pas « prédisposé » à l'écriture alphabétique qui s'est construite de manière discontinue dans une histoire longue de plus de 3000 ans.

Notre écriture alphabétique, produit d'une volonté de démocratisation politique ( à Athènes ) est aussi l'agent de la démocratisation. Cette réalité de l'écriture doit passer dans son enseignement. L'écriture, cela s'est transmis, cela se transmet. Non par contact, comme une maladie microbienne, non par les gènes, comme une maladie génétique, mais comme un savoir qui s'enseigne et s'apprend de génération en génération, d'adulte à enfant, jusqu'à ce que celui-ci fasse de même, à son tour... . Il paraît trivial de le rappeler, mais cela tend à glisser vers l'oubli. Que l'écriture soit « enseignée », signifie, par sa source étymologique, « montrée ». Un exemple : nous nous entendons dire, le O et le U, ensemble, cela fait « ou »... comme le remarque Bernard Jumel, la formule « cela fait » est la plus mauvaise qu'on ait trouvée, « parce que O et U, cela ne fait pas, cela ne fait rien, cela fait O et U. Nous préférons, « Nous le lisons « ou » », ou « cela se lit « ou » », et nous expliquons à l'enfant : « Parce qu'il n'y a pas de dessin pour ce son. Les ancêtres de nos ancêtres ont mis ensemble ces deux lettres et ils ont décidé comment nous le lirions. » L'enfant gagnera en peu de temps une petite partie de ce que les grecs d'Athènes ont mis des siècles à conquérir : une manière de concevoir l'espace de représentation graphique comme un espace à trois dimensions, dont la dimension temporelle est incluse dans le mouvement gauche-droite de l'écriture.

Peut-être du fait que le produit de l'activité de lecture est d'abord quelque chose qui s 'entend, est-ce la raison pour laquelle les chercheurs qui adoptent un point de vue radical sur la dyslexie privilégient une explication par le déficit de conscience phonologique ? Dès 1967, le philosophe Derrida fustige la mise hors-jeu de l'écriture comme acte, trace, gravure, écorchure, incision. Concernant l'écriture, il y a un au-delà de l'horizon immédiat qu'est la phonologie. L'écriture est un instrument de liberté individuelle et collective. Cette valeur communément attribuée à l'écriture est indissociable dans les discours de la notion d'instruction générale pour tous et des conditions de son accès : l' « instruction », dans le discours des révolutionnaires de 1789, désigne la maîtrise de la lecture et de l'écriture, ainsi que les premiers éléments de calcul ( Talleyrand, 1791 ).

Une théorie de la dyslexie qui voudrait distinguer l'enfant dyslexique, et lui enseigner la lecture en constituant un groupe différent de l'ensemble, ferait un terrible contresens sur ce qu'est l'écriture pour tous. La théorie exacerbant la différence pourra peut-être s'imposer, mails elle le fera contre les idéaux communs, historiquement construits. Ce qui vaut pour tous doit pouvoir être signifié à chacun : la démarche d'aide et d'accompagnement personnalisé devrait dès lors en tout premier lieu viser à confirmer qu'il s'agit bien de transmission culturelle et non de technique, notamment en confirmant la fonction de l'enseignant en charge de cette transmission dans le processus d'apprentissage.

L'enfant dyslexique est au bord de la maîtrise de l'écriture : donc de savoir lire. Les moyens qu'il utilise pour ne pas s'y précipiter sont ceux-là mêmes qui précèdent l'acquisition : appréhension globale du mot ou, inversement, appréhension par le petit détail donnant sa couleur à l'ensemble, difficultés à lier les parties pour en réussir la synthèse. Elles ne peuvent être surmontées tout comme elles l'ont été historiquement par ceux qui nous ont légué l'écriture, qu'à partir de la confirmation du fait que les différences se lient et ne s'excluent pas. Cela, l'écriture le dit, il conviendra encore de trouver d'autres manières de le confirmer dans le style de l'accompagnement qui aura entre autres à assurer l'enfant qu'il est moins périlleux de faire en compagnie de l'adulte que sans lui.

Ce n'est pas l'écrit en tant que tel qui met l'enfant en échec parce que c'est de l'écrit, mais le processus de réunion qu'exige notre système d'écriture : - Sur le terrain de l'apprentissage de la lecture, nous parlerons avec les pédagogues, de difficultés à associer. - Sur le terrain de l'observation du psychanalyste, l'angoisse mise en évidence dans l'examen de l'enfant dyslexique apparaît l'angoisse de séparation, au sens où ce terme est défini par Freud, dans Inhibition, symptôme et angoisse. Il s'agit de l'angoisse liée à la menace de perte, par assimilation de la perte du rapport visuel à la perte de l'objet. Est observé sur le plan clinique une recherche de proximité avec l'adulte pour pouvoir penser ; sur le plan des réponses, une recherche éperdue du support visuel apparaît à la juste mesure du peu d'utilisation qui en est réellement faite, du fait même que le support visuel s'oppose à une attitude mentale active de mise en pièces, de découpage, que nécessitent les réassemblages.

Il importe de signifier fortement que l'âge de l'écriture est en dernière analyse l'âge de raison. C'est l'âge auquel l'enfant est socialement considéré comme étant en mesure de répondre, c'est à dire, au sens littéral, d'être responsable. Dès lors, refuser d'enseigner à ceux qui éprouvent des difficultés dans l'exercice reviendrait à leur refuser le droit de se présenter comme tel. Le concept d' âge de raison définit le moment du développement de l'enfant, selon le critère déterminant du temps des stoïciens, auquel il devient capable d'user de la parole en relation. Cette capacité dépend elle-même des connaissances nécessaires à l'utilisation raisonnée, consciente et responsable de la période en relation. Celles-ci sont constituées en disciplines consacrées à l'étude de l'écrit : la logique et la grammaire. L'âge de raison serait donc tout simplement l'âge auquel l'enfant peut accéder à ces connaissances, issues de l'écrit.

L'histoire du droit des mineurs apporte un éclairage supplémentaire au concept d'âge de raison. Sur le plan juridique, dans certains pays européens, le mineur qui atteint l'âge de raison, fixé par la loi ( sept ans en Allemagne et en Autriche, dix ans en Grèce ) ou déterminé par les tribunaux, peux exercer une activité juridique et être tenu de réparer les dommages de son fait. Ce n'est le cas ni en France, ni en Grande-Bretagne ou dans les pays scandinaves, aujourd'hui distanciés du droit romain. Ces réalités attestent que l'âge de raison est historiquement l'âge auquel l'individu est en mesure de répondre, sur ce qu'il possède, de ses actes. Socialement, dans l'histoire du droit attesté par ce qui en survit dans nombre de pays, l'âge de raison est l'âge où, devenu sujet social, on peut répondre, c'est à dire parler en prenant la bonne mesure de la question posée, de celui qui la pose, du contexte dans lequel elle l'est, et de ce qu'elle implique : réponse et responsabilité ont la même origine. L'âge de raison est condition par un certain niveau de maniement du langage : un langage en relation, qui pose deux sujets responsables, aux travers de deux rôles sociaux.

Considérer que l'âge de la responsabilité, l'âge de raison, est l'âge de l'écriture par définition, doit nous conduire à réfléchir aux implications que cette connaissance, non explicite mais bien présente dans les esprits, peut avoir sur l'apprentissage. Pour l'enfant, s'engager dans une voie nouvelle de responsabilisation vis-à-vis de l'adulte, c'est prendre le risque d'une rencontre dont le caractère dissymétrique est encore accru par le fait qu'elle se fait pour la conquête d'un outil dont l'adulte a seul la maîtrise. Le moyen d'assumer ce risque n'est pas dans la nature, il est dans l'outil lui-même ! La grande leçon de l'histoire de l'écriture est là aussi : l'écriture inclut, en elle-même, les conditions du dépassement des difficultés qu'elle représente ! Sur le plan de la construction, l'écriture livre des solutions au problème des différences.

Mais de la même manière que les grecs n'ont pu intégrer les différences à une réelle maîtrise de l'espace et du temps de représentation qu'au décours d'une autre manière de penser l'espace issu des relations nouvelles entre les membres d'une société, l'enfant ne saurait utilisé judicieusement ce qui est contenu dans l'outil qu'à la faveur d'une manière d'organisation des relations entre les gens, d'une distribution des rôles, qui confirme les valeurs du système alphabétique. Signifier l'alphabet, c'est signifier un ordre qui ne tient pas de la parole de l'adulte comme s'il venait de l'inventer. C'est signifier un ordre qui traverse les générations, ce qui fait toute sa saveur sur le plan psychologique.


- Remédier à la dyslexie

Comme le déclare le pédopsychiatre et psychanalyste Maurice Berger, dans l'abord du trouble d'apprentissage « les progrès cognitifs ne sont possibles que lorsque se produisent chez l'enfant certains changements dans sa vie psychique ». Or, associés à la dyslexie, les troubles émotionnels constituent l'élément résistant à la remédiation pour le spécialiste, et a fortiori un élément particulièrement difficile à dépasser pour le parent. Il convient de leur indiquer de refuser de jouer à « qui est le plus fort », refuser l'affrontement dans la mesure où rien ne sera acquis par la contrainte puisque l'enfant dyslexique considère la relation avec celui qui occupe une position forte comme menaçante pour sa propre position : il y a un fort et un faible, et il est le faible ; en conséquence, il se défend de façon symétrique, c'est à dire en renversant les positions.

Lorsque les parents ont été maladroitement alarmés sur les difficultés de l'enfant, la blessure infligée par la révélation peut ouvrir un gouffre d'incompréhension entre les parents et l'enfant. Le sentiment de ne plus se reconnaître, d'être trahi dans ses attentes rend plus difficile le contact avec l'enfant. Comment aborder la lecture dans ces conditions ? Il revient au maître d'expliquer à l'enfant ce qu'est la grande école parce qu'il occupe, pour le faire sentir et comprendre, la meilleure place. Il FAUT apprendre à lire et à écrire. Or, l'abord des difficultés sur lesquelles on intervient ne peut se faire sans l'enfant, plus exactement sans son acquiescement. Comment négocier ?

. Au milieu des petits, conduire un échange par lequel chacun son tour trace un segment : il trace, nous traçons, il trace, nous traçons... . Inévitablement, les manières vont se distinguer, un travail va pouvoir s'engager. Cet exercice repose sur l'attention conjointe, sur le regard accordé au geste graphique, mais dans lequel le langage verbal n'a aucune part.

. Avec l'enfant, au début d'apprentissages laborieux ou très mal engagés, le parent tirera un grand avantage à ne pas aborder frontalement les difficultés de la lecture du jour, en suivant, s'il en a le temps, un programme parallèle. Quelques lettres suffisent pour construire une grande quantité de mots. On n'est pas obligé, pour apprendre à lire, à commencer par les lettres et les assemblages les plus difficiles.

. Face au refus de l'enfant, il conviendrait de prendre sa place. L'objectif étant de maintenir le lien entre nous en utilisant la lecture ou l'orthographe, nous lui proposerons d'inventer une histoire ensemble. Il dictera, nous écrirons.

. Quand le refus de la lecture à haute voix est installé, nous lirons à voix haute en décomposant au maximum le texte, les mots et les sons, aussi lentement que nécessaire pour qu'en suivant des yeux ( ou du doigt sur la ligne ) notre lecture, il soit quasiment en position d'anticiper la fin du mot que nous lisons, jusqu'à ce qu'il consente à prendre le relais provoqué par le style de lecture traînante et un tantinet exaspérante, que précipite le besoin de lire à notre place.

La remédiation de la dyslexie en petit groupe d'enfants est convenue pour ne pas perdre ( et ne pas craindre d'être perdu ) de vue, ainsi que pour ne pas être seul face à l'adulte. Le petit groupe permettra dans ses activités de confronter des raisonnements à ceux de pairs : « un autre enfant me disait que... », pour dépasser cet obstacle inhérent à la pratique du « test » qui est la dissymétrie relationnelle entre l'adulte qui interroge, et l'enfant qui répond. Le petit groupe est le lieu d'expérience de conduites réparatrices à travers l'activité de groupe d'enfants menée collectivement avec une distribution tournante des rôles : la réalisation d'une conduite d'aide, portée par une visée réparatrice.

Tout enfant, à ses débuts en lecture, peut présenter les symptômes apparents de la dyslexie et faire des inversions. Cependant, la dyslexie se reconnaît dans l'instabilité des écritures pour un même mot, ou l'instabilité des lecture pour un même graphème, d'une minute à l'autre et même d'une second à l'autre, et ce, malgré les corrections ! Dès lors, que penser de la recommandation de mettre un ordinateur portable à disposition de l'enfant dyslexique ? Il s'agit d'un « outil pédagogique et non de rééducation ». Mais l'ordinateur, s'il n'est pas l'outil de la rééducation, est particulièrement indiqué dans le cas de dysgraphie sévère.

La dysgraphie n'est pas l'autre versant de la dyslexie : il n'est pas possible de mettre d'emblée sur le compte d'une dysgraphie un bon nombre de fantaisies dans l'écriture des lettres qui, de notre point de vue, sont indissociables de la dyslexie ( lettres cursives au tracé régulièrement inversé, voyelles tracées dans un sens unique, le sens horaire, ligatures manquantes, etc... ). Chez le dyslexique, le geste graphique n'est pas malhabile comme chez l'enfant dysgraphique, mais il est, pour chaque lettre, le produit d'une gymnastique minutieuse mais invraisemblable dans la succession de ses divers segments. L'ordinateur permet de faire bon usage du temps supplémentaire dont dispose l'enfant dyslexique dans les examens pour produire un travail soigné quand ses difficultés d'écriture sont évidentes, et , avec aide, pour améliorer l'orthographe. Mais l'ordinateur ne se substitue pas à l'enseignant, surtout pas. L'ordinateur n'est pas un instrument d'autonomie, surtout quand il s'agit d'enfant dyslexique.

Pourquoi lit-on moins efficacement sur un écran que sur un support papier ? Sous sa forme actuelle, le livre est organisateur d'un espace particulier. Il partage l'espace en deux semi-espaces, séparé de fait par une ligne verticale. Entre le demi-espace gauche et le demi-espace droit, il y a un temps, marqué par une succession dans le cours de la lecture, d'abord la page gauche, puis la page droite, ce qui constitue dans l'esprit de l'enfant un espace organisé par le temps. À tel point que le grand lecteur qui s'endort sur son livre a de fortes chances, quand il rouvrira les yeux quelques minutes plus tard, de retrouver tout de suite la ligne qu'il a quittée... . Cette organisation de l'espace de lecture n'est pas donnée par l'ordinateur, ce peut être une des raisons pour laquelle la lecture y est plus difficile que sur le livre. Faut-il éviter l'écriture ? Le plaisir partagé de l'acte graphique n'est pas donné par l'ordinateur, qui a autre chose à offrir mais n'est pas le meilleur partout. L'acte graphique est hautement différenciateur, pourquoi se priver de son apport qui permet, de plus, de se trouver vraiment ensemble ?

Quels exercices éviter dans le travail avec l'enfant dyslexique ? Il s'agit des exercices opposant des homonymes ( puisque pour le dyslexique la petite différence ne fait pas toute la différence, mais est au contraire indifférente ), ainsi que les exercice à trous : l'enfant qui a du mal à lire y trouvera une difficulté décuplée. Par ailleurs, rien n'effraie, ne sidère davantage l'enfant dyslexique que le blanc au beau milieu d'une phrase, puisque l'enfant tend à remplir ce blanc, non sa lecture avec un concept, mais avec une forme, la première venue. Il peut donc encore moins lire les blancs que ces écritures qui résistent.

Quid du tiers temps ? Le tiers temps se justifie par la lenteur qui affecte les productions d'enfants facilement désorientés. Le surcroît de travail mental qu'exigent des interrogations sans fin sur chaque graphie justifient davantage de temps pour tout exercice.




Nicolas Delorme

Nicolas Delorme, Psychothérapeute sur Saint Malo

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